1 oct. 2009

Un barbu au supermarché

Par une chaleur intenable qui réjouissait beaucoup mes contemporains — c’est super ! on a l’été indien ! — je garai ma voiture sur le parking du supermarché Leclerc. C’était en semaine, l’après-midi ; il y avait beaucoup de places libres et je pouvais espérer qu’il n’y eût pas foule aux caisses et dans les rayons.

J’étais néanmoins d’assez mauvaise humeur car je déteste ce genre d’endroit et parce qu’à chaque fois, je dois me battre avec les caddies jusqu’à ce que l’un d’eux accepte mon jeton en plastique fuschia « Leclerc - 10 jours pouvoir d’achat ». Aussi pendant que je fais trembler ces trains de ferraille et que je produis un tintamarre qui effraie les vieilles dames, je me mets à maudire l’inventeur de ce jeton si pratique quand — Carte bleue kingdom oblige — je n’ai jamais un seul euro sur moi.

Je serrai le frein à main, pris mon jeton puis sortis du coffre mes sacs Leclerc « Ensemble protégeons l’environnement ». Qu’est-ce qu’ils avaient donc avec ça ? La veille, j’avais reçu une publicité m’enjoignant de la sorte : « Sauvez la planète et faites des économies sur votre facture d’électricité ». J’avais bizarrement un peu de mal à croire en un héros consommateur, sauveur quasi-messianique tombé dans le panneau photovoltaïque du Green Business. Mais passons... Embarrassé de ma demi-douzaine de sacs écolos à un euro pièce, j’arrivai devant l’espèce d’abribus en plexiglas qui serait encore une fois le ring du match « jeton en plastique – caddie »...

Quelle fût donc ma joie quand dès le premier round, je vis mon jeton mettre le caddie K.O. ! Me voici aussitôt radieux, pendant mes sacs au crochet approprié puis poussant mon caddie dans l’allée caniculaire. Afficher tant de gaieté ne pouvait que faciliter mon abordage et c’est ainsi qu’un gros Noir, sympa, chauve et moustachu, style commissaire de police dans un film américain, m’interpella. « Bonjour Monsieur le barbu ! avait-il lancé, tout sourire et d’un ton débonnaire.
— Bonjour Monsieur le Noir ! » lui répondis-je, harmonieusement.
Il eût un rire fort aimable puis prit soudainement un air des plus sérieux. Bon sang, me dis-je, pourvu qu’il ne me reproche pas de l’identifier comme Noir après qu’il m’a lui-même identifié comme barbu... Il démentit bien vite ma paranoïa en me tendant une pétition, là, devant le Leclerc en plein soleil. « Nous avons besoin de votre soutien, m’expliqua-t-il sur le ton de la confidence. C’est pour aider les filles et lutter contre l’excision en Afrique. » Haha. Il m’avait bien baisé et j'étais marri de n’avoir rien anticipé.

Il me semblait vain d’expliquer que si l’excision est à mes yeux une mutilation stupide, je ne suis pas légitime, moi petit Français blanc, pour donner à l’Afrique des leçons de mœurs — et d’autant moins, compte tenu de l’attitude criminelle de mon pays à son égard... Je ne voulais pas non plus me lancer dans une discussion aussi stérile qu'interminable dans laquelle je devrais de toute façon tenir le rôle du salopard. Aussi, considérant l’inconséquence de ce genre de pétition en général, je décidai de signer au plus vite son papelard.

Cela dit, j’étais quand même un peu vexé de me faire si facilement avoir... À cause de ça, mon triomphe des caddies était annihilé ! Et j'avais la sinistre impression de trahir mes convictions. Aussi, de mon écriture la plus illisible — car ne soyons pas non plus téméraire, me disais-je — j'inscrivis « Lebarbu » dans la colonne « Nom » et une ville voisine au hasard dans la colonne éponyme. C'était un compromis satisfaisant.

Alors seulement je découvris que la troisième colonne indiquait : « Montant du soutien ». Haha. Coriace comme un caddie ! « Parce qu’en plus il faut payer ? » m’écriai-je. Là, le gros Noir parut vraiment découragé. « Vous pensez bien qu’on ne peut rien faire sans un soutien financier... » Je commençai à me dire que j’avais eu tort d’éviter le débat... « Le problème, rétorquai-je, c’est que je n’ai pas d’espèce sur moi.
— Pas même une petite pièce ? me demanda-t-il, dubitatif.
— Rien, confessai-je. Parce que sinon, mentis-je, je vous aurais bien donné un euro symbolique. »
Le gros Noir soupira et jeta un coup d’œil au jeton en plastique fuschia logé dans mon caddie. « Alors je veux bien que figure mon nom, continué-je avec aplomb, mais je marque : zéro euro. » Il fut bien obligé d’accepter — il avait perdu bien assez de temps avec moi et manqué plusieurs proies plus aisées. Il me remercia à contre cœur, puis je passai la porte tambour automatique pour pénétrer en sueur dans l’espace climatisé.

J’étais énervé et je n'étais pas très fier de l'avoir ainsi joué — à la renard. Par ailleurs je trouvais ridicule et disproportionné de se mettre dans de tels états. Alors, sous les néons, « Heal The World » de Mickael Jackson résonna. Et je demandai à la poissonnière six cents grammes de crevettes — « provenance : vietnam ».