11 janv. 2010

La Neige

Vous avez sans doute déjà remarqué. La nuit, la neige, sous l’éclairage électrique, elle est jaune — pisseux, poisseux, genre vieille savonnette qui n’a plus connu peau depuis des mois. Et c’est sans compter les craquelures un peu partout à la surface — cicatrices de jeux d’enfants, de chats transis ou de corbeaux déroutés — entre les rares brins d’herbe qui dépassent comme gisent sur le savon quelques poils pubiens noirs et frisés.

Ou bien serait-ce plutôt une couche de polystyrène, emballant et protégeant cette marchandise de monde — mais si rétive au libre échange qu’elle le paralyse, un peu comme ces ironiques « ouvertures faciles ». Si bien qu’on doit au final la passer au cutter de nos pneus rechapés…

Sur la voie rapide, la neige était très belle, à uniformiser ainsi le paysage, à tisser dans la tempête des perpendiculaires aux sillons tracés par nos roues — et à menacer dans ses aplats verglacés de m’envoyer dans le décor percuter quelque panneau triangulaire ou cul de camion constellé de givre.

Plus tard, je me suis dit que j’aurais quand même mieux fait d’investir quinze euros dans cette putain de pelle à neige. J’étais là, avec mon pauvre balai, à tasser cette garce sur la descente de garage. Et je dessinais malgré moi des rails — trop grands, même pour un éléphant cocaïnomane.

La nuit tombée, ça recommença de plus belle. Plusieurs voisins étaient ressortis pour racler sur les pavés la pelle qu’eux n’avaient pas manqué d’acheter. Ça faisait dans la pénombre un bruit épouvantable : il me semblait qu’on sciait des carcasses, qu’un croque-mitaine traînait derrière lui une faucille macabre. Mais la neige, inlassablement, anéantissait leurs efforts. N’en triomphait plus aucun son. Seuls les nuageons de leurs souffles vaincus pouvaient encore lui faire écho.

Alors nous bûmes des grogs et mouchâmes des morves froides. On ferait bientôt face à une pénurie de mouchoirs. On était là, on était bien, avec nos antibiotiques et la grippe H1N1. Autour de la maison, la neige n’en finissait pas de choir. C’était le carnaval hivernal ; des confettis albinos pleuvaient. Dans la rue, la neige s’étendait et gonflait. J’imaginais, cruel, dans cette soirée mousse, quelques fêtards incultes, vêtus de latex, danser et enrhumer leurs petites têtes…

C’était finalement un jour plein de consolations : les intempéries nuisaient à la bonne réception de la télévision, elles sapaient également les coquetteries ordinaires en nous faisant préférer bonnet et veste polaire. Oui, ce jour-là, la neige était venue gâcher la fête — comme une acrobate tombée de son trapèze : ça tombe et tout s’arrête. À part quelques béni-oui-oui croyant la neige plus pure qu’austère, tous les artistes du cirque savent que ça va être un beau bordel…

C’est perfide, la neige. Regardez-la un peu jaunir, la nuit, au pied d’un lampadaire…